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Série informative: Les oeufs

La problématique

Ce post est le premier d’une série qui a pour but d’informer et d’expliquer plus en détail comment les vegans en arrivent à refuser les différents produits animaux. Cette série ne se veut en aucun cas jugeante ou culpabilisante, et son but unique est l’information.

Les oeufs sont souvent un point d’interrogation pour beaucoup de mangeurs de viande, de végétariens et de nouveaux vegans. En effet, ils ne causent apparemment pas la mort d’animaux, ni une souffrance particulière puisque les poules pondent avec ou sans coq, donc pas besoin de fécondation forcée pour avoir des oeufs. Malheureusement, les apparences sont parfois trompeuses.

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Photo by LISA BRUCE, licensed under BY_NC_ND

L’élevage en Suisse

Depuis le 1er janvier 1992, la Suisse a été le premier pays du monde à interdire l’élevage des poules pondeuses en batterie. Avant, les poules étaient confinées dans une surface qui atteignait celle d’une page A4. Je crois qu’on est tous d’accord pour dire que ce n’est pas une vie. Donc, cette interdiction a déjà été un bon pas, vous me direz, surtout quand on sait que l’UE a officiellement interdit l’élevage en batterie en 2012, soit 20 ans après nous… Il nous reste cependant 3 types d’élevages de poules pondeuses en Suisse: au sol, en plein air, et bio. Vous trouvez ici les différents règlements selon le mode d’élevage. Pour faire rapide, l’élevage au sol fait que les poules n’ont aucun accès à l’extérieur, le plein air se fait majoritairement à l’intérieur mais les poules doivent pouvoir sortir l’après-midi, et bio propose une densité moins élevée d’individus et ne doit pas contenir plus de 2000 animaux par poulailler. Ils doivent pouvoir sortir et ont plus d’espace à l’extérieur que les autres. Il faut noter néanmoins que dans les élevages au sol et en plein air, on trouve parfois des troubles du comportement dûs à la promiscuité des individus, comme le picorage du plumage des congénères qui peut mener à des blessures douloureuses.

 

Combien d’oeufs est-ce qu’une poule pond?

Il y a aussi quelques choses à savoir sur les poules. Jean Ulmann, président de GalloSuisse (association des producteurs d’oeufs suisses), explique fièrement que les poules suisses pondent dix fois leur poids en oeufs par année. Or, à l’état naturel, il semble que les poules ne pondraient qu’une petite vingtaine d’oeufs par an, ce qui nous éloigne grandement des dix fois leur poids par an. Pourquoi ce fossé ? Comme pour la plupart des animaux que nous exploitons, nous nous sommes amusés à utiliser la science pour faire ce qu’on appelle de la sélection génétique. Il ne s’agit pas de modifier génétiquement des individus, mais de sélectionner les individus les plus performants (c’est à dire les plus rentables) pour la reproduction. Au fil des générations, les individus développent ces traits, parfois dans un tel excès que cela les fait souffrir (poulets qui ne peuvent plus marcher parce qu’ils grossissent trop vite pour que leurs pattes les supportent par exemple). La sélection génétique de nos chères gallus gallus domesticus joue donc un rôle important pour augmenter leur productivité. Faut-il être fier d’avoir rendu une espèce rentable pour mieux l’exploiter ? C’est à vous de voir.

http://www.aviforum.ch/downloads/F_SGZ_6-7_15.pdf, p.5
Une pub

L’image ci-dessus n’est pas un trucage que j’ai bricolé sur photoshop. Elle vient de la revue spécialisée sur l’aviculture suisse, édition juin-juillet 2015. Vous pouvez voir la chose ici, en page 5. Sans faire une analyse extrêmement poussée de cette image très parlante, on notera néanmoins que le texte «En toute situation, c’est la passion qui prime» se retrouve en petit tout en bas de la page (et le fait que ce soit le slogan de Provimi Kliba ne devrait pas jouer un rôle majeur), alors que le «rentabilité maximale» est bien visible en haut de page, en majuscules.

 

L’alimentation des poules pondeuses

Si vous vous posez la question, Provimi Kliba est un acteur privé spécialisé dans l’alimentation pour animaux de rente. Parce qu’il y a une chose qu’on a souvent tendance à oublier, c’est qu’en mangeant des produits animaux, on ingère indirectement ce dont ils ont été nourris pendant leur vie. Pas sûre que le soja de provenance non bio dans les viandes bon marché soit très tentant, tout comme certaines choses qu’on donne aux poules. On notera par ailleurs avec plaisir que sur la page volaille de Provimi Kliba, ils précisent notamment que

« pour les poules pondeuses, nous n’employons que des pigments naturels pour intensifier le jaune, et aucune graisse animale. »

Les oeufs que nous mangeons ne sont donc pas aussi naturels qu’on le croit. D’ailleurs, je n’ai trouvé nulle part sur les directives de Bio Bourgeon (le meilleur label qu’on ait en Suisse) que cette nourriture avec pigments ne devait pas être administrée à des poules pondeuses bio (ils précisent qu’aucun colorant n’est utilisé dans les produits issus d’oeufs bio bourgeon, comme les nouilles, mais aucune précision sur l’alimentation des volatiles. Tout ce qu’on peut voir c’est que les OGM sont clairement interdits – ce qui devrait être un minimum).

 

La courte vie des poules pondeuses

Bio ou pas, ces poules super-productives voient leur production d’oeufs baisser après leur première année de ponte et diminue graduellement ensuite, à tel point que même si leur espérance de vie tourne autour d’une bonne dizaine d’années, elles ne sont malheureusement plus assez rentables dans leur 2 ou 3ème année de vie, et sont alors abattues. Le fait que la production d’oeufs diminue puis s’arrête est simplement due au fait qu’elles fonctionnent comme les mammifères sur ce plan: elles ont un nombre donnés d’ovaires à la naissance, et une fois tous les ovaires utilisés (ils correspondent au jaune de l’oeuf – oui, qui mange un oeuf mange un ovaire, ou plus exactement les règles de la poule!), eh bien, elle ne peut plus pondre et ne sert plus à rien, selon nos critères de rentabilité. Cette vidéo (en anglais) montre très simplement comment le processus de formation de l’oeuf se passe, et c’est tout à fait fascinant. Le moment de la calcification (formation de la coquille de l’oeuf) requiert une certaine quantité d’énergie et de nutriments, ce qui explique qu’Aviculture suisse énonce dans un article que «des performances de pointe comptant une masse d’œuf quotidienne de 60 à 65 g ne sont possibles qu’avec une concentration en éléments nutritifs et une consommation d’aliment correspondants.»

De plus, il semble qu’un phénomène récent et encore méconnu touche les poules pondeuses suisses. Aviculture suisse a posté un article dans sa revue de novembre 2015 (en page 8) qui décrit un comportement très étrange et incompris: les poules pondeuses s’étouffent les unes les autres. Elles s’entassent dans des coins de poulailler, et cela cause l’étouffement de certaines. Ils dénotent 3 types d’entassement différents: 1. Entassement après des perturbations extérieures comme des bruits ou présence de prédateurs. 2. Quand les poules commencent à pondre, elles s’intéressent à un nid, ce qui attire les autres poules qui y viennent aussi, et finalement certaines se retrouvent coincées dessous et au fond et n’ont pas moyen de s’échapper. 3. Les entassements qui n’ont apparemment aucune cause connue. L’association a mis en place un questionnaire pour les éleveurs pour voir quelle est l’ampleur du problème. Affaire à suivre donc.

 

La production des poules pondeuses

Si on remonte d’un cran dans la chaîne, avant d’avoir les oeufs il faut produire les poules. Pour ce faire, il existe des couvoirs dans lesquels les poussins naissent. Les mâles, inutiles car incapables de pondre, sont la plupart du temps broyés ou gazés à la naissance, et ce dans tous les types de production de poules pondeuses – au sol, en plein air, ou bio (c’est une filière différente pour les poulets de chair, et pas la même race). En Suisse, en 2013, c’est 2,6 millions de poussins mâles qui ont été tués. D’ailleurs, Migros s’est récemment vantée de l’ouverture du plus grand couvoir de Suisse à Avenches d’ici à 2018, avec une capacité de 140’000 naissances par JOUR. Bien qu’il soit dit que «tous les poussins, qu’ils soient mâles ou femelles grandissent de la même manière et seront utilisés dans la filière, [il est bien précisé que] « pour la viande, c’est égal: mâles ou femelles, tous finiront sous forme de poulets ou de coquelets, avant leur maturité sexuelle »», il n’est bien sûr pas précisé que pour le domaine de la ponte, les poussins mâles «utilisés dans la filière» seront sans doute broyés pour servir de chair à nuggets. Non je déconne, on en fait juste des farines animales ou des engrais.

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Le problème des poussins mâles broyés à la naissance est un problème dénoncé ouvertement par les associations de protection animale. À tel point que l’Allemagne a décidé de développer des recherches pour une méthode nommée «sexage dans l’oeuf». Aviculture suisse, encore une fois, fait le point dans sa revue de novembre 2015, en page 11. Le but de cette démarche est «d’éviter dès le début de faire éclore des poussins mâles, puis de les mettre à mort», en détectant les oeufs contenant des mâles et en les utilisant rapidement dans un autre domaine. La technique permet de tester les oeufs dans les premières 72h suivant la fécondation, et la revue précise que «d’après les connaissances actuelles, l’embryon de poule n’a pas de perception de la douleur jusqu’au 10ème jour d’incubation.» Notez en passant que cela signifie que le poussin a bel et bien une perception de la douleur au moment où il se fait broyer ou gazer à la naissance (juste au cas où vous en doutiez encore). Concrètement, d’ici quelques années, peut-être que la science nous permettra d’épargner une courte vie de douleur à des millions de poussins par an grâce à cette technique. Qu’on y adhère ou qu’on s’y oppose, le fait est que pour le moment, ce n’est pas comme ça que ça se passe, et c’est à nos actions d’aujourd’hui qu’il nous faut réfléchir.

 

Choisir en toute connaissance de cause

Donc: quand ils achètent des oeufs (même bio) dans un supermarché, les consommateurs/les consommatrices cautionnent indirectement ces pratiques. Si vous m’entendez répéter que notre porte-monnaie est un bulletin de vote permanent, ceci en est un très bon exemple.

Quand vous achetez vos oeufs dans un petit élevage familial, le consommateur cautionne toujours ces pratiques (les poules appartenant aux petits éleveurs sont aussi achetées à travers des élevages spécialisés en poules pondeuses puisque eux aussi doivent avoir des bêtes «rentables». Encore une fois, mâles = éliminés à la naissance), même si à l’échelle de bien être des poules pondeuses, c’est incomparable, et bien plus local d’aller directement chez un producteur du coin.

 

Si on ne mange pas les oeufs, ils ne servent à rien !

C’est justement là que résident les idées reçues. La poule pondrait aussi si l’espèce humaine n’existait pas, elle ne le fait en aucun cas pour nous. Alors, vous me direz, que font les vegans qui sauvent des poules pondeuses des élevages intensifs (partout dans le monde donc, pas forcément chez nous) ? Eh bien, beaucoup d’entre eux laissent les oeufs aux poules. Puisque ça leur demande de l’énergie de pondre et que les vegans ne sont pas intéressés par l’élevage, la production ou n’importe quelle forme d’exploitation, et que ces poules ne sont pas nourries avec des aliments uniquement destinés à booster leur productivité, elles se font un plaisir de récupérer les nutriments contenus dans leurs oeufs. D’ailleurs, selon la logique d’exploitation et de rentabilité d’aviculture suisse, les oeufs mangés sont un «problème sous-estimé.»  Ce qui est certain, c’est que les oeufs pondus ne sont pas perdus. Ils ne sont simplement pas utilisés par l’humain parce qu’un vegan estime qu’un produit animal ne lui appartient pas et qu’il n’a pas de droit sur celui-ci.

Peppysis
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Sans devenir vegan, il y a déjà certains gestes positifs faciles à faire

Aviculture Suisse explique qu’entre 2007 et 2014, la part d’oeufs suisses consommés est passée de 45% à 57%, ce qui est déjà une bonne nouvelle qui souligne un intérêt grandissant pour les produits locaux. Ceci dit, ils mettent en lumière le fait que les plats cuisinés tout prêts contenant des oeufs sont souvent importés de l’étranger (et donc sont souvent faits avec des oeufs de batterie – ça existe toujours malgré la loi – ou au mieux d’élevage au sol. Il n’y a aucun intérêt économique à utiliser des oeufs de poules bio pour en faire des produits dérivés et les importer). Du coup, diminuer ou arrêter d’acheter des produits transformés tout prêts contenant des oeufs tels que pâtisseries, tresse, pâtes, mayo etc., surtout dans les grandes surfaces et privilégier le fait maison ou des pâtes sans oeufs qu’on trouve aussi facilement que les autres sont des solutions qui vont dans le bon sens, même si il faut garder à l’esprit que tous les types d’élevage soutiennent le système d’exploitation actuel.

 

Quelques alternatives aux oeufs, pour les curieux

Si vous avez envie d’essayer des alternatives aux oeufs en cuisine, voici une liste des possibilités qui s’offrent à vous:

Les quantités équivalent à chaque fois au remplacement d’un oeuf.

  • Des graines de lin moulues: 1 c. à s. de graines moulues finement ajoutée à 3 c. à s. d’eau tiède, bien mélanger et laisser prendre 5-10 minutes. Magie ! C’est la version que j’utilise le plus souvent, elle est super polyvalente: pancakes, muffins, cakes, pains, cookies, burgers. Idéalement, ne pas utiliser l’équivalent de plus d’un oeuf sous peine de changer le goût de la préparation.
  • Du tofu soyeux: 55g mélangés à 1 belle pincée de poudre à lever. Idéal pour des recettes humides comme certains cakes; évitez pour des recettes sèches comme les biscuits ou les pancakes.
  • Purée de pomme: 60g mélangés à 1 belle pincée de poudre à lever. Idéale pour des cakes ou brownies, et certains pains.
  • Banane: 1/2 belle banane bien mûre, réduite en purée. Pour des pains, du banana bread, muffins, brownies, la plupart des cakes et des pancakes.
  • Si vous voulez une variante aux oeufs brouillés avec presque autant de protéines et moins de cholesterol, c’est tout à fait possible grâce au tofu brouillé (un bloc de tofu ferme, les épices de votre choix, un peu de curcuma pour la couleur, des oignons/épinards ou n’importe quoi que vous avez envie d’ajouter, vous émiettez le tofu dans un bol, assaisonnez, mélangez, ajoutez un peu d’eau si il est trop sec. Faites chauffer une poêle avec un peu d’huile, mettez-y le tofu et faites cuire en remuant très souvent, comme avec des oeufs brouillés. Quand il est bien chaud, passez à table ! )

Voilà ! J’espère que ce post vous aura un peu éclairé sur la problématique de la production d’oeufs et vous aura donné envie de tenter un remplacement dans une prochaine recette ! 😊

Si vous avez envie d’en savoir plus sur l’éthologie (étude du comportement) des poules, je vous renvoie sur la page de la PEA, l’association suisse pour l’égalité animale. On se rend compte assez vite en lisant qu’on ne connait presque rien sur ces animaux.

 

1 comment on “Série informative: Les oeufsAdd yours →

  1. Joli article complet et bien référencé! Je connaissais assez bien cette filière et ses pratiques comme tu les présentes. Je continue pour ma part à manger des œufs, qui remplacent bien souvent de la viande dans mon alimentation. Je sais ce qu’il y a derrière mais je sais aussi ce qu’il y a dedans: tout pleins de nutriments et acides aminés essentiels faciles d’accès et concentrés en un œuf qui se garde facilement et qui entre dans la composition de multitudes de plats délicieux. Les alternatives, si elles existent, ne sont malheureusement pas sans compromis gustatifs ou d’ordre pragmatique. J’achète toujours les œufs bios pout ma part, et je regarde d’un mauvais œil les consommateurs qui se servent d’emballages trois fois plus remplis pour le même prix.

    Les œufs ont cet avantage nutritionnel décisif en ce que les personnes non intéressées à la nutrition peuvent être sûres qu’elles partent sur une bonne base. (Tant qu’elles n’en abusent pas). Facile, complet, efficient, efficace. Dommage cependant pour les poussins, j’espère que la solution que tu mentionnes arrivera vite par chez nous.

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